5.4 Bilan et conclusion sur l’optique de Super-ACO

Les résultats expérimentaux présentés au cours de chapitre apportent un éclairage nouveau sur la modélisation de Super-ACO. Pour améliorer la compréhension des performances actuelles de l’anneau, nous souhaitions initier les premières mesures tour par tour des glissements des nombres d’ondes avec l’amplitude sur l’anneau d’Orsay. Si à l’ALS il a été possible d’obtenir la première carte en fréquence expérimentale d’un accélérateur, nous savions que la tâche serait plus ardue à Super-ACO : l’anneau de stockage n’était pas équipé de BPM tour par tour et le faisceau ne pouvait être déplacé que selon la direction horizontale. A la place des BPM tour par tour, nous ne disposions que d’une électrode utilisée initialement pour le diagnostic et mélangeant les signaux transverses. Cependant, ces expériences, innovantes à Orsay, ont suscité un grand intérêt de la part de l’ensemble du groupe faisceau (conducteurs de faisceau, électroniciens, ingénieurs, physiciens et techniciens). Une fois leur faisabilité technique attestée, ces expériences ont presque toutes donné des résultats exploitables (à la grande surprise de l’auteur). Utilisant l’Analyse en Fréquence, le principal résultat est la mise en évidence expérimentale de l’influence des pseudo-octupôles des champs de fuite des quadripôles de Super-ACO. Jusqu’à présent non pris en compte dans la modélisation de l’anneau, nous avons vu qu’ils ont un impact considérable sur la dynamique transverse du faisceau.

Ces résultats ont été confirmés depuis (printemps 2001). Deux « vrais » moniteurs tour par tour ont été installés dans l’anneau de stockage pour refaire le même type d’expériences. Ce travail a été réalisé en particulier par Mahdia Belgroune sous la direction du groupe faisceau : bénéficiant d’une électronique plus rapide, d’un meilleur rapport signal-sur-bruit, d’une meilleure résolution, les pseudo-octupôles permettent d’expliquer des glissements des nombres d’ondes horizontal et vertical mesurés pour différents choix d’optiques.

L’optique de Super-ACO peut désormais être modélisée par les éléments magnétiques suivants :

Le dernier point de désaccord observé concerne la mesure de la chromaticité naturelle. La raison pourrait être simplement le logiciel BETA a été écrit pour des accélérateurs à grand rayon de courbure. Un terme non négligeable pour le calcul de la chromaticité d’une machine telle Super-ACO doit être bientôt introduit dans le code de calcul. De plus, les champs de fuite des dipôles (non modélisés) sont de type hexapolaire et induisent une chromaticité verticale non négligeable.

Enfin, l’intégrateur présenté dans la première partie de ce mémoire va prochainement être utilisé pour d’une part vérifier l’assertion précédente au sujet de la chromaticité, et d’autre part prendre en compte réellement les champs de fuite des quadripôles et, plus tard, les éléments d’insertion.

Conclusions et perspectives

Au cours de ce travail, nous avons étudié une grande diversité de machines de rayonnement synchrotron : Super-ACO avec ses 72 mètres de circonférence, l’ALS (196 mètres), SOLEIL (337 mètres) et l’ESRF (844 mètres). Suivant la taille de l’anneau, les approximations réalisées pour la modélisation varient (termes des petites machines, coins des aimants, champs de fuite des éléments magnétiques).

En utilisant le formalisme Hamiltonien, nous avons écrit un intégrateur des équations du mouvement d’une particule relativiste. Chacun des principaux éléments magnétiques a été modélisé par un Hamiltonien local à trois degrés de liberté. L’intégrateur utilise les méthodes d’algèbre de Lie qui devraient connaître en Europe un développement comparable à celui des Etats-Unis depuis leur introduction par A. Dragt. L’intégrateur proposé est un intégrateur symplectique d’ordre quatre à pas tous positifs dont la précision est supérieure d’un ordre de grandeur à l’intégrateur de Forest et Ruth.

L’Analyse en Fréquence a été notre principal outil d’investigation de la dynamique transverse des accélérateurs. En calculant une carte en fréquence pour une optique donnée, nous obtenons une vision globale de la dynamique du faisceau. L’allure des cartes en fréquence varie profondément d’une machine à l’autre ; elle est très sensible aux réglages hexapolaires. De nombreuses résonances d’ordre aussi bien faible qu’élevé détériorent la dynamique et induisent des mouvements chaotiques. La convergence rapide, la précision de la méthode, l’utilisation de la diffusion des orbites permettent également d’en faire un outil fiable pour prédire l’effet de l’introduction des défauts magnétiques dans le modèle, du déplacement du point de fonctionnement.

Nous avons vu qu’une fois connus, les défauts expérimentaux des gradients des quadripôles droits et tournés d’un anneau (déduits des matrices-réponse), une carte en fréquence décrit une dynamique très voisine de la dynamique réelle de l’accélérateur (taille de l’ouverture dynamique, efficacité d’injection).

Une étape supplémentaire a été franchie en obtenant les premières cartes en fréquence expérimentales d’un accélérateur. Les comparaisons avec le modèle théorique (de l’ALS) se sont avérés remarquables en termes de glissements des nombres d’ondes avec l’amplitude, de largeurs de résonance, de la diffusion des orbites au voisinage des nœuds entre les résonances.

Les deux outils nécessaires pour réaliser de telles expériences sont un jeu de BPM tour par tour et deux aimants rapides permettant de déplacer sur un seul tour le faisceau dans les plans horizontal et vertical.

L’Analyse en Fréquence peut ainsi être directement intégrée comme un des outils de diagnostic du faisceau dans la salle de contrôle d’un accélérateur. C’est déjà une réalité à l’Advanced Light Source où une carte en fréquence peut être tracée de manière quasi-automatique. Pour rendre l’utilisation de la méthode encore plus pratique, le système de mesure de l’ALS va être prochainement modifié pour permettre l’acquisition d’une carte en fréquence en une vingtaine de minutes.

A Super-ACO, même s’il était techniquement impossible d’obtenir une carte en fréquence, les mesures tour par tour du glissement des nombres d’ondes avec l’amplitude ont permis de mettre en évidence le fort effet des champs de fuites des quadripôles (non modélisé jusqu’à présent). Leur inclusion dans le modèle de l’anneau révèle une dynamique entièrement différente et permet de mieux comprendre les performances actuelles de la machine (ouverture dynamique, résonances, réglages des hexapôles).

Les perspectives à la suite de ce travail sont nombreuses avec pour un des thèmes principaux, l’association de l’Analyse en Fréquence et des mesures tour par tour dans un accélérateur.

Ma courte expérience dans le monde des accélérateurs m’a convaincu du point essentiel suivant. Les écarts sur les performances des sources de lumière entre les prédictions et les mesures expérimentales sont très souvent proche d’un facteur deux. La raison principale est qu’il est impossible d’obtenir une description absolue des champs magnétiques, des positionnements des éléments dans l’anneau de stockage, de paramètres moins prévisibles (vibrations, marées solides, variations de la température).

Ne pouvant tout prévoir, il est par contre primordiale de prévoir, dès la construction d’un accélérateur (l’auteur pense en particulier au futur anneau de stockage SOLEIL), un grand nombre d’outils de diagnostic, outils qui constituent littéralement les « yeux » et les « oreilles » du physicien des accélérateurs. Ce sont en particulier des moniteurs de position tour par tour, des aimants rapides pour déplacer le faisceau sur un tour.

Nous avons vu que les mesures expérimentales sont souvent compliquées par le phénomène de la décohérence. Par exemple, le faisceau de l’ESRF « décohère » en une centaine de tours pour déjà de très faibles déplacements horizontaux du faisceau. Pour un anneau de la taille de l’ESRF, il doit être possible d’obtenir des données exploitables en modifiant la philosophie des mesures : au lieu d’enregistrer le signal sur un BPM particulier de l’anneau tous les tours, l’utilisation conjointe de l’ensemble des BPM doit permettre d’augmenter de manière significative l’échantillonnage des données.

A l’ALS, l’Analyse en Fréquence est et sera pleinement utilisée pour caractériser l’impact des trois aimants supraconducteurs qui vont être installés en août 2001 dans l’anneau et réduire sa périodicité de douze à trois. Des résultats récents (Steier, Robin, Wu, Decking, Laskar et Nadolski, 2001) reposent sur l’utilisation de cet outil pour caractériser et comprendre les causes de limitations de la dynamique off momentum de l’ALS.

Dans ce travail, l’Analyse en Fréquence a principalement été utilisée à travers les cartes en fréquence, i.e. en ne conservant que le premier terme de la décomposition quasi-périodique obtenue en analysant les trajectoires de phase. Une autre approche consiste à utiliser la décomposition complète donnée par l’Analyse en Fréquence. L’amplitude de chaque terme correspond à l’amplitude d’une résonance donnée. Il est ainsi possible d’extraire de nombreuses autres informations sur la dynamique et d’obtenir une nouvelle méthode d’optimisation d’un accélérateur.

Ces nouveaux développements devront être considérés pour permettre non seulement d’améliorer les accélérateurs actuels mais aussi de concevoir les prochaines générations de machines tels les sources de lumière de quatrième génération, les « usines à muon » et les collisionneurs.