2.2.4 Applications préliminaires

Avant d’appliquer l’Analyse en Fréquence à l’étude de la dynamique des accélérateurs, deux applications simples vont être présentées succinctement. Le pendule mécanique qui modélise la dynamique au voisinage d’une résonance. Puis, l’application d’Hénon qui est une application nonlinéaire et me permettra d’introduire quelques notions supplémentaires sur l’étude de la dynamique des systèmes.

2.2.4.1 Le pendule

Le Hamiltonien d’un pendule rigide peut s’écrire sous la forme :

     p2                  +
ℋ =  2--− a cosq,  a ∈ ℝ
(2.71)

q est l’angle de rotation du pendule et p  sa dérivée temporelle. Le pendule est un système dynamique à un degré de liberté complètement intégrable qui permet de modéliser la dynamique au voisinage d’une résonance (voir par exemple, Chirikov, 1979). Son portrait de phase (p,q)  est tracé pour différentes valeurs de l’énergie (Fig. 2.12-a). Deux régimes peuvent être mis en évidence :


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FIG. 2.12: Espace des phases (q,p)  du pendule rigide (a) et courbes en fréquence ν (q)  . Au voisinage du point hyperbolique (b), la courbe en fréquence présente une singularité logarithmique. Au voisinage du point elliptique (c), la courbe en fréquence est nulle (plateau). Après échantillonnage en moment p  , les projections (d et e) des courbes en fréquences sont identiques pour le régime de circulation.


Le pendule admet deux points fixes correspondant aux positions d’équilibre stable et instable : l’origine (p,q) = (0,0)  est un point fixe elliptique et (p,q) = (0,π )  est un point fixe hyperbolique.

La courbe en fréquence          2π-
νπ(p) =  T  est tracée pour q =  π  , i.e. passant par le point hyperbolique et y admet une singularité logarithmique. La période de rotation (Eq. 2.73) est alors (voir par exemple Tabor, 1988 p. 11 sqq. et Laskar, 1993) :

             2       ( π  ∘ ---4a--)
T(ℋ ) = ∘----------sn  --,  --------  ,
           p2 + 4a     2    p2 + 4a
(2.74)

avec sn(x,k)  , la fonction sinus elliptique de Jacobi :

          ∫ x       dφ
sn(x,k) =     ∘--------------
           0    1 − k2 sin2 φ
(2.75)

La courbe en fréquence ν0(p)  calculée pour q = 0  est identiquement nulle pour  2
p  < 4a  , car la fréquence de circulation est nulle. Par contre au-delà, elle vaut            ∘ --------
ν0(p) = νπ(  p2 − 4a)  .

Ces deux courbes sont fondamentales, car elles décrivent le comportement de l’application fréquence au voisinage d’une résonance (Laskar, 1993). La courbe ν (p)
 π  décrit son comportement lorsqu’un point hyperbolique est traversé (Fig. 2.12-b), la courbe ν0(p)  lorsqu’une île de résonance est traversée (Fig. 2.12-c). Si l’on projette la courbe ν (q )  sur l’axe des fréquences, pour un échantillonnage uniforme en p  , l’allure de la courbe en fréquence ne dépend pas du choix de q0   dans le régime libration (cf. courbes 2.12-d et 2.12-e et propriété (1) p. §). Par contre l’échantillonnage est plus fin au voisinage de île de libration qu’au voisinage du point hyperbolique, car la variation de la fréquence est plus rapide (cf. singularité logarithmique).

2.2.4.2 L’application d’Hénon

L’application d’Hénon (Hénon et Heiles, 1964 et Hénon, 1969) est la plus simple des applications non triviales symplectiques polynomiales à deux degrés de liberté (Bazzani et al., p. 77) :

(q ′)   (  cosω    sin ω ) (   q   )
   ′  =                          2
  p       − sinω   cosω    p + εq
(2.76)

p et q  sont des variables canoniques et ω  est le nombre de rotation. Elle dérive du Hamiltonien dépendant explicitement du temps s   :

            ω            ε
ℋ (p,q;s) = --(q2 + p2) +--q3δ2π(s)
            2            3
(2.77)

avec δ
2π  la fonction de Dirac 2π  -périodisée.

Malgré sa simplicité, l’application d’Hénon contient une grande partie de la dynamique nonlinéaire que nous rencontrerons dans les chapitres suivants. La partie quadratique du Hamiltonien 2.77 modélise le mouvement bétatron perturbé par un hexapôle situé en s = 0  (cf. Wiedemann, Tome II ou Lee, 1998). Je ne l’introduis ici que pédagogiquement pour illustrer les propriétés de l’application fréquence énoncées dans la section 2.2.3 et également pour discuter des résonances induites par une perturbation de type hexapolaire (pour plus de détails, voir le travail de Bazzani, Todesco, Turchetti et Servizi, 1994).

Dans ce cas, l’application fréquence est simplement définie par :

FT :
q ↦→ν (2.78)
Les portraits de phases de l’application d’Hénon sont tracés pour différentes valeurs de la fréquence linéaire ω  et pour un nombre d’itérations T =  2000  (Fig. 2.14) et mettent respectivement en évidence des résonances d’ordre 4, 5, 6 et 7 (cf. grands îlots de résonance). Pour chacun des cas, la courbe en fréquence ν (q)  pour p = 0  et q > 0  est adjointe. C’est une courbe monotone de l’amplitude p  excepté au voisinage des résonances. L’étude de la régularité de ν(q)  révèlent également des résonances d’ordre plus élevé.

Similairement au cas du pendule, lorsque ν (q )  traverse une île, on observe un plateau, et au voisinage d’un point hyperbolique une discontinuité de l’application fréquence. L’application d’Hénon est suffisamment simple pour pouvoir calculer analytiquement la variation de ν  avec q  . Pour cela, on écrit une forme normale de l’application d’Hénon au voisinage de l’origine qui est un point fixe elliptique (voir Bazzani et al., 1994). Les largeurs de résonance peuvent aussi être calculées et dépendent à la fois de q  et de ε  . A l’origine, on retrouve la fréquence linéaire, i.e. ν(0)=  ω  .


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FIG. 2.13: Perturbation d’un système : destruction d’un tore rationnel de fréquence ν = 1
    4   en quatre points fixes elliptiques et quatre points fixes hyperboliques. Les tores irrationels sont faiblement déformés. Au voisinage de chaque point elliptique, le raisonnement peut être réappliqué.



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FIG. 2.14: Portraits de phase (q,p)  et courbes en fréquence associées ν(q)  pour p = 0  de l’application d’Hénon. La fréquence linéaire ω  a été choisie dans chacun des cas pour mettre en évidence des résonances d’ordre 4 (a, ω =  0.251  ), 5 (b, ω =  0.205  ), 6 (c, ω = 0.180  ) et 7 (d, ω =  0.150  ). Des résonances d’ordre plus élevé apparaissent et limitent l’ouverture dynamique.


L’apparition de résonances de tout ordre sous l’action d’une perturbation, me permet d’introduire un résultat général sur la dynamique d’un système Hamiltonien. En effet, d’après le théorème KAM (cf. page §), nous avons vu que la majorité des trajectoires du système linéaire subsistent sous l’effet d’une faible perturbation15. Par contre, tous les tores résonants sont détruits. La condition de résonance pour deux degrés de liberté est :

                                         p
<  m, ν >=  0 ⇐ ⇒   qν − p = 0 ⇐ ⇒   ν = --,  m  = (p,q) ∈ ℤ × ℤ ⋆
                                         q
(2.79)

Ces orbites sont q  -périodiques. Quel est le destin des tores résonants sous l’action d’une perturbation ? Le théorème des points fixes de Poincaré-Birkhoff (voir par exemple, Arnold et Avez, 1968) stipule que le cercle d’orbites périodiques de fréquence rationnelle      p
ν =  q  pour le système non perturbé dégénère en nombre paire (2kq  ) points fixes : kq  points fixes elliptiques alternés avec kq  point fixes hyperboliques. Dans chacune des îles, ce schéma peut être appliqué de nouveau au voisinage des orbites elliptiques (cf. Fig. 2.13).


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FIG. 2.15: Ouverture dynamique (qmax  ) associée à l’application d’Hénon en fonction de la fréquence linéaire ω  normalisée par 2π  . L’ouverture dynamique est limitée par la résonance entière pour 0 <  ω < 0.013  . Au-delà, elle est contrainte par des résonances d’ordre plus élevé. L’ouverture dynamique est nulle pour ω =  1  et 1∕3   ; elle est infinie en ω =  0.5  .


La notion de « dangerosité » d’une résonance pour la dynamique est un problème à part entière. Par exemple, les résonances 1  et 1 ∕3  conduisent toujours à des instabilités quelque soit l’amplitude d’oscillation initiale q0    : l’ouverture dynamique est nulle ; pour ω=1∕2
2π  , la dynamique est toujours stable : l’ouverture dynamique est infinie. Pour toutes les autres résonances, il existe une amplitude maximale non nulle (q
 max  ) au-deçà de laquelle le mouvement est stable. Au voisinage des points hyperboliques le mouvement est chaotique mais borné. Par contre aux grandes amplitudes (q > qmax  ), les orbites résonantes sont suffisamment excitées pour détruire toutes les trajectoires. La dernière trajectoire fermée16 définit l’ouverture dynamique qui est fortement marquée par les résonances (cf. Fig. 2.14 et Fig. 2.15).

Ces résultats me permettent de rappeler, qu’un 2n-pôles peut engendrer des résonances de tout ordre. En effet, il est parfois affirmé, par exemple, que les hexapôles ne peuvent générer que des résonances d’ordre un et trois. Cette idée fausse provient du fait que si l’on applique une théorie de perturbation du premier ordre, seules des résonances d’ordre inférieur à n  apparaissent (voir par exemple Hagedorn, 1957, Schoch, 1958 ou Guignard 1978) ; de plus, les calculs ne sont en général pas faits aux ordres supérieurs (voir par exemple, Bazzani et al., 1994, Bengtsson, 1988).